Vous tenez dans vos mains un livre qui
va chanter les louanges des épaves de la science académique, des
jeunes filles insomniaques qui perdent la mémoire devant une copie
d'examen, des cohortes d’élèves victimes de violence symbolique,
des chercheuses que la science a rendues acariâtres, des
scientifiques hors pair qui s'écoeurent de la recherche.
Parler de science c'est raconter une
histoire du monde, une histoire dominée en Occident par les symboles
de la Renaissance et des Lumières. Dans notre imaginaire collectif,
les géomètres de la nature sont des hommes, de préférence
Européens, plutôt aisés. Ils sont passionnés par la mécanique au
point d'en faire un modèle pouvant tout décrire, du système
solaire au corps humain. Imaginons-les siégeant autour d'une table
dans une salle aux décorations cossues, à l'Académie des Sciences.
Aux murs sont suspendus les portraits de leurs héros, qui leur
ressemblent. L'air pèse de cette sérénité agressive que donne la
suffisance.
Dans l'ombre des tentures surannées
s'agitent des personnages étouffés qui crient une autre histoire du
monde: inventeurs découragés, sorcières carbonisées, mouettes
engluées, espèces menacées. Médecins qui en ont assez de faire un
boulot de mécanicien. Aborigènes qui pleurent des larmes de leur
terre ... Une pluralité de voix, un choeur fier de sa diversité,
méritant de siéger parmi les penseurs de la nature, sans intention
de les combattre. A l'aube du troisième millénaire, les
conversations peuvent s’étendre par delà les archétypes et les
antinomies simplificatrices, comme par exemple devoir choisir entre
décrire le monde à l'aide des mathématiques, à l'université des
sciences, ou du langage, à l'université des lettres. Maintenant que
le progrès nous a transformés en apprentis sorciers planétaires,
ces voix discordantes sont nécessaires, car porteuses d'autres
façons de penser et de raconter la nature. Elles ont droit de cité.
Des ingénieurs parlent de lâcher des tonnes d'aérosols dans
l'atmosphère pour répondre au changement climatique1:
demandera-ton l'avis des Aborigènes australiens avant de jeter un
voile devant leur Soleil ?
On devient scientifique par soif de
pouvoir ou de contemplation.2
Jouer avec les gènes ou comprendre le Big Bang peut donner un
sentiment de maîtrise, de puissance. Après l'invention de la bombe
atomique, les physiciens sont devenus des demi dieux. Pourtant les
mystères de la nature, de l'origine des verrues à l'énergie noire
du cosmos, demeurent innombrables ; nous sommes fondamentalement
des ignorants. La science est aussi un hymne d'amour, tendre,
respectueux et admiratif.
Nous sommes conscients du potentiel
d'auto-destruction de notre espèce, et nous avons encore le choix de
nous réinventer. L'ère des conquêtes est révolue : repousser
les limites de la planète, c'est tomber de la falaise. La quête du
vingt-et-unième siècle, c'est faire la paix avec la biosphère,
apprendre à travailler en partenariat avec la Terre, au lieu de
chercher à la maîtriser. Ce changement de paradigme nous appelle à
tisser un nouvel imaginaire collectif, broder de nouvelles
métaphores, et conter des histoires inédites. Peut être même à
engendrer une cacophonie qui fera naître de nouvelles harmonies.
Dans la culture des Premières Nations du Canada, un personnage essentiel à l'équilibre de la tribu s'appelle le « trickster »3. Une sorte de fou du roi qui vient dérouter, perturber, initier la réflexion. En France, il s'exprimerait par la bouche du renard de St Exupéry4. Ce livre vous propose une collection d'histoires, des réflexions, d'exercices même, pour se bousculer l'esprit. Ce n'est pas un texte académique, une ligne tendue entre une introduction et une conclusion, ni une démonstration logique et structuré : il ne prend pas le TGV. C'est un bric-à-brac où vous pourrez fouiller pour créer vos propres histoires, façonner vos propres convergences. Un champ de fleur où les abeilles butinent au hasard, se posent, prennent leur temps, repartent, reviennent.
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1
Rasch et al., 2008
2
D'après la philosophe Evelyn Fox Keller
3« Trick »
peut vouloir dire astuce, tour de passe-passe, ou encore le « truc »
du prestidigitateur.
SOMMAIRE
(aussi proposé en haut de chaque page)
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